L’esprit des lieux
Citation
La découverte d’un Grand Site produit généralement sur le visiteur une forte impression, parfois un choc émotionnel. Il s’agit d’une perception immédiate, globale et souvent confuse de la qualité du lieu, de son unicité, de ce qui lui confère une ambiance particulière, quand bien même d’autres lieux lui seraient comparables par le relief, la végétation, l’histoire, la légende…une perception qui transcende le paysage tangible, qui touche tous les sens, les facultés mentales et affectives,
et dont le fondement a été dénommé, en référence à l’Antiquité, « l’esprit des lieux ».
Petit traité des Grands Sites : Réfléchir et agir sur les hauts lieux de notre patrimoine,
coordonnée par Jean-Pierre Thibault, Actes Sud, 2009
Les îles Sanguinaires et la pointe de la Parata
Figure de proue du golfe d'Ajaccio
Qualifié de “figure de proue” du golfe d’Ajaccio, l’archipel des Sanguinaires indique aux visiteurs venus de la mer, ainsi qu’aux voyageurs arrivant par les airs, leur arrivée proche à destination d’Ajaccio.
Que l’on arrive par la route ou bien par la mer, le site se dévoile au fur et à mesure du trajet. Il est l’aboutissement de la ligne de crêtes surplombant la rive nord du golfe d’Ajaccio.
Son paysage de type littoral, adossé à la montagne, est animé par une succession de points forts, de points d’appel, souligné par des ouvrages perchés, tours, phare, sémaphore.
Constitué d’un relief vigoureux et relativement étroit, la seule partie du site présentant une certaine profondeur est Cala di Reta. Les zones non desservies par des chemins pédestres sont inaccessibles à cause d’un maquis très dense.
Un nom légendaire
Les Sanguinaires
Ce lieu communément appelé les Sanguinaires tire son nom de nombreuses légendes. Certaines n’étant pas en concordance avec la chronologie historique ou avec des évènements historiques avérés, elles sont donc de fait non retenues.
Ce nom mythique, qui a inspiré de nombreux poètes, pourrait donc être dû à la couleur du soleil couchant sur les rochers de granit rouge, ou bien au rouge des feuilles des frankénie ou au rose des fleurs de nivéoles ou encore une déformation du nom « Sagone » désignant un golfe au Nord des îles. Cette dernière hypothèse semble la plus plausible car plusieurs cartes du XVIIème siècle, les dénomment « sagonare insulae » soit « les îles qui annoncent [le golfe] de Sagone ».
Un haut lieu du tourisme insulaire
Très prisé des Ajacciens
Si la grandeur et la beauté des lieux est magnifié par une vision maritime ou aérienne, il n’en reste pas moins que la majorité des visiteurs y parviennent par la route départementale 111 dénommée « route des Sanguinaires ». Cette route touristique de grande notoriété date de la fin du XIXème siècle ; elle commence en centre-ville à l’ombre des palmiers du boulevard Lantivy et longe en corniche sur 12 km de superbes plages de sable et de criques pour aboutir à la pointe de la Parata après une vingtaine de minutes de trajet. Ainsi, ce site naturel, en continuité immédiate de l’urbanisation de la ville d’Ajaccio, connait une double fréquentation : touristique et massive en saison et locale hors saison.
Du fait de sa péri-urbanité, particularité de ce Grand Site eu égard aux autres Grands Sites, le site de la Parata est, depuis la création de la route dite des Sanguinaires, la promenade préférée des Ajacciens, principalement hors période de chaleur estivale.
Il s’agit de promenades dominicales entre amis ou en famille, régulières ou quotidiennes pour de nombreux résidents, romantiques ou méditatives, sportives ou artistiques (peintres et photographes). La Parata présente une large diversité de visiteurs dont l’attachement au site est prononcé.
Un lieu de visite
Un espace naturel reconnu
Cité dans tous les guides touristiques relatif à la Corse comme lieu de visite incontournable, le site est soumis à une forte attractivité et joue un rôle socio-économique important dans le domaine du tourisme.
La singularité des lieux s’explique par une combinaison d’éléments spécifiques : géologiques, végétales, faunistiques, historiques et légendaires constituant l’esprit des lieux.
Cette approche de la notion de « Grand Site » s’applique bien aux Îles Sanguinaires et à la pointe de la Parata.
Site classé, en raison de son caractère de « sauvage beauté », c’est aussi un espace naturel reconnu d’intérêt national et communautaire classé pour partie en Zone naturelle d’intérêt écologique, floristique et faunistique (ZNIEFF) de catégorie 1, dont les atouts remarquables justifient son intégration au réseau écologique européen Natura 2000.
Un relief sculpté dans du granit et de la diorite
Comme la majorité des côtes corses, les Îles Sanguinaires et la pointe de la Parata se composent de roches d’origine magmatique.
Deux principales roches donnent leurs couleurs caractéristiques au Grand Site :
- la diorite, roche sombre, domine sur la presqu’île de la Parata, sur les îlots et sur la partie Nord-Est de Mezu Mare.
- le granit, roche claire, est majoritaire sur la partie Sud de Mezu Mare.
Dans ses explorations, le visiteur est canalisé sur des cheminements qui percent le maquis ou franchissent des barres rocheuses. Ce « promontoire de granit noir », selon l’expression du guide vert Michelin, est en fait un affleurement de « diorites de la Parata qui forment un alignement nord-est / sud-ouest long de 6 kms et qui se poursuit dans les célèbres îles des sanguinaires ».
Dans ce massif de diorites (roches magmatiques grenues de couleur sombre et noirâtre) le géologue attentif peut observer dans l’aspect de la roche les traces de la combinaison de deux « magmas immiscibles » et il y découvre aussi des filons de quartz.
Une richesse faunistique
A cela s’ajoute une richesse faunistique dans les quatre îlots qui composent l’archipel, de la côte vers le large : Isola di Porri (l’île aux poireaux), Isoloto ou îlot des cormorans, Isola di Cala d’alga et enfin Mezu Mare (la plus grande), l’absence de prédateurs terrestres, comme les renards et les belettes, favorise l’installation de colonies d’oiseaux marins qui construisent leur nid à même le sol.
Bien qu’ils se nourrissent en mer, ces oiseaux passent tout de même une partie de leur existence à terre pour s’y reproduire. C’est le cas des cormorans huppés et des goélands leucophées que l’on rencontre aux Sanguinaires.
Une végétation de type littoral
La végétation observée autour de la pointe de la Parata correspond à un maquis littoral thermophile compact de lentisques, calycotomes velus, filaires à feuilles étroites, oliviers sauvages, myrtes et bruyères arborescentes. Ce qui confère au lieu des senteurs particulières très appréciées des visiteurs. Sur les flancs Ouest, le maquis est plaqué au relief, alors que sur les flancs Est, plus protégé, il est plus haut et plus diversifié.
Le vent et les embruns façonnent ce paysage végétal, sculptent les masses végétales et ordonnent de façon immuable la place de chaque espèce de plante selon sa résistance au vent et au sel.
Ainsi, dans les rochers de bord de mer seuls les perce-pierres et les statices articulés se donnent à voir ; sur les pentes faibles et les éboulis fins l’on distingue de l’obione et de la bruyère marine et dans les zones à fortes pentes et éboulis récents ce sont les lentisques et les calycotomes qui parviennent à occuper le terrain.
Bien qu’un dense couvert végétal habille les reliefs, la roche perce largement ce manteau, notamment sur la presqu’île derrière le restaurant ou encore vers le nord-ouest et le long du rivage, ou les filons rocheux et les éboulis affleurent et peuvent parfois gêner la progression du promeneur.
Le maquis apparait littéralement brossé par le vent et la moindre jeune pousse, qui profite d’un printemps ou d’un automne clément pour s’extraire des masses rigoureusement taillées par les éléments, est systématiquement brûlée par les pluies d’embruns de l’hiver suivant.
Comme sur la pointe de la Parata, les végétaux présents sur Mezu Mare subissent la forte influence des éléments naturels. Aucun récit sur les Sanguinaires ne manque d’évoquer le climat rude qui y règne. Il n’y a pourtant rien d’étonnant dans le fait que des îles, situées comme elles le sont, subissent la rage des flots et la violence du vent, mais l’image de la tempête renforce certainement la poésie du site.